L’impossibilité d’exploiter un fonds de commerce peut constituer un motif de suspension du paiement des loyers.
Résilier un bail commercial ou en diminuer le loyer n’est possible que dans les cas de perte de la chose louée, de force majeure ou d’exception d’inexécution.
Le cas de la perte de la chose louée est encadré par l’article 1722 du Code civil qui dispose que : « Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement. »
Antérieurement à la crise sanitaire liée au COVID-19, la question de la perte de la chose louée ne faisait pas débat, la chose louée devait être détruite en totalité pour justifier la résiliation du bail commercial ou partiellement pour légitimer la diminution du prix ou la résiliation du bail.
Le contexte actuel de fermeture administrative de certains commerces a toutefois poussé certains juges à se prononcer sur le sujet dans un sens inattendu.
Par un arrêt en date du 6 mai 2021, en sa 12ème chambre, la Cour d’appel de Versailles écarte l’application de cet article au motif que le bien objet du litige n’est en l’espèce détruit ni partiellement, ni totalement. Il ne souffre pas non plus de non-conformité. En somme, l’impossibilité d’en exploiter le fonds de commerce ne relève pas du local en lui-même mais bien de l’activité économique qui y est développée.
Un arrêt rendu par la même Cour et le même jour a jugé au contraire que « l’interdiction de recevoir du public dans son établissement en raison de cette situation de force majeure est aussi susceptible d’être assimilée à une perte partielle de la chose louée pendant les périodes susvisées au sens de l’article 1722 du code civil dès lors qu’il n’est pas contesté par le bailleur que son preneur était alors dans l’impossibilité d’y exercer son activité conformément à la destination prévue au contrat » (Cour d’appel de Versailles, réf., 6 mai 2021, n° 20/04284).
La Cour d’appel de Paris, a rendu deux arrêts au même motif que « la destruction de la chose louée peut s’entendre d’une perte matérielle de la chose louée mais également d’une perte juridique, notamment en raison d’une décision administrative et que la perte peut être totale ou partielle, la perte partielle pouvant s’entendre de toute circonstance diminuant sensiblement l’usage de la chose. En l’espèce, il est constant qu’en raison de l’interdiction de recevoir du public la société (preneuse) a subi une perte partielle de la chose louée puisqu’elle n’a pu ni jouir de la chose louée ni en user conformément à sa destination pendant les périodes de fermeture administrative, l’absence de toute faute du bailleur étant indifférente » (Cour d’appel de Paris, réf., 12 mai 2021, n°20/16820 et 20/17489)
En somme, les juges du fond estiment que la suspension des paiements des loyers de baux commerciaux en raison de la crise sanitaire est possible.
S’il ne s’agit que de premières décisions non suivies par les autres Cour d’appel à l’heure actuelle, il n’en demeure pas moins qu’elles sont de nature à créer une incertitude sur les suites qui seront données par les juridictions et notamment par la Cour de cassation qui sera sans nul doute saisie de la question.
Conseil pratique : Pensez à privilégier un accord sur la diminution du prix du loyer du bail commercial plutôt qu’une procédure longue et à l’issue incertaine.
Franck REGNAULT Shahynèze RAJI