Viser des produits sans avoir l’intention de les exploiter, au sein d’un dépôt de marque, n’est pas une bonne idée. La déchéance d’une marque française « Mont Blanc » pour des boissons alcoolisées vient d’être confirmée.
La marque Mont Blanc est initialement exploitée pour du lait concentré sucré et du chocolat en 1921 par une société éponyme, située à Rumilly, au pied du plus haut sommet d’Europe, le Mont-Blanc. Dans les années 1950, le produit commercialisé sous cette appellation Mont Blanc se diversifie pour des crèmes dessert, lesquelles sont alors fabriquées au sein d’un site de production située dans la Manche, en Normandie. Cette activité est successivement acquise par le groupe Nestlé en 1971, puis par une société française Mont Blanc, et enfin par le groupe Mom, lequel emploie actuellement 750 salariés en France.
Dans l’intervalle, le 15 octobre 1985, la marque « Mont Blanc » est déposée en tant que marque française verbale visant plusieurs produits alimentaires, sous le numéro 1371452.
Dans le cadre de sa surveillance de marques visant à s’assurer qu’aucune marque identique ou similaire ne sera enregistrée par un concurrent, une demande de marque internationale « Mont Blanc » est détectée. Celle-ci, déposée par une société espagnole Alvisa Montblanc, est fondée sur une demande de marque britannique antérieure, et désigne tous les pays européens. Le seul produit visé est la vodka, en classe 33.
Sur la base de sa marque historique qui vise de nombreux produits alimentaires, parmi lesquels des bières, vins et spiritueux, la société normande forme opposition à l’enregistrement de la marque susvisée devant l’INPI. L’administration rend un projet de décision rejetant la demande de marque visant la France.
Mais la marque si connue Mont Blanc n’a jamais été exploitée pour des boissons alcoolisées. En réplique, Alvisa Montblanc, la titulaire de la demande de marque contestée, sollicite donc la déchéance pour défaut d’exploitation sérieuse de la marque ancienne, pour les breuvages, devant le Tribunal.
La société normande expose avoir visé les boissons alcoolisées au sein de sa marque de 1985, sans jamais n’avoir l’intention de les exploiter, pour préserver son image de marque, celle d’une entreprise produisant des produits de lait transformés, destinés à de jeunes consommateurs, en empêchant quiconque d’utiliser ces termes pour une activité nuisible. Cette stratégie commerciale et marketing de la « marque de barrage » n’obéit pas aux principes du droit du marque, qui imposent une exploitation sérieuse de tous les produits visés, sous peine de déchéance. La Cour tranche et la marque historique perd son monopole pour les boissons alcoolisées.
Le litige aurait pu s’arrêter là, par l’application de principes bien établis. Mais la société française poursuit un raisonnement, original, devant la Cour d’appel de Rennes, et obtient satisfaction concernant la demande de marque ennuyeuse.
Pour elle, le titre ne saurait être enregistré, car il constitue une fraude. En effet, en premier lieu, la fabrication de la vodka visée par la demande litigieuse se situe en Russie, bien loin de la Haute-Savoie, de sorte qu’elle ne peut se prévaloir d’un motif légitime. En second lieu, la marque française de 1985 bénéficie d’une renommée importante en ce qu’elle est le deuxième producteur de crème laitière du marché français. Or, admettre l’enregistrement de la seconde marque consisterait à prendre le risque que la marque première « soit peu à peu assimilée dans l’esprit des consommateurs, à l’image même des boissons alcoolisées, et que, dès lors, et dans un souci de prophylaxie antialcoolique, la société Montblanc serait elle-même contrainte de se soumettre aux restrictions publicitaires prévues par le Code de la santé publique, quand bien même ne commercialiserait-elle que des produits laitiers ».
Cette appréciation est pragmatique. Cet arrêt de la Cour d’appel de Rennes du 6 octobre 2020 (RG 16/05278) doit être approuvé.
Conseil pratique :
Pour détenir un monopole en France, la taxe de dépôt de marque est de 190 euros pour une classe de produits, et de 40 euros par classe de produits supplémentaire. Aucune autre somme ne sera à payer pendant 10 ans. La tentation est grande de viser de très nombreux produits. Mais cet arrêt illustre la nécessité d’être, au contraire, précis. Quelle que soit la notoriété à venir de la marque, il convient de se limiter à ce qui sera sérieusement exploité ; la marque de barrage n’étant jamais admise par les Tribunaux.
Coraline Favrel, https://carmen-avocats.com/coraline-favrel/